Hier soir, j’ai facilité mon énième tente rouge. Je les ai comptées jusqu’à la dixième peut-être, et puis j’ai arrêté. Je les ai comptées tant que j’ai cru qu’on pouvait devenir de plus en plus experte et améliorer chaque fois sa recette, comme pour les cookies.
Ce que j’aime dans les tentes rouges, c’est le ritualisé, le solennel, la présence presque palpable des mots et des émotions, le lien presque physique qui se densifie en quelques heures entre des ex-inconnues assises côte à côte.
Ce que j’aime, c’est le rôle de facilitatrice – gardienne qui ouvre le bal avec un cadre, presque une théorie, des mots bien choisis pour poser l’ambiance.
Ce que j’aime, c’est la parole qui se dénoue, le silence plein de sens, les mots qui font échos et les fils rouges qui s’entremêlent et se déroulent.
Ce que j’aime, c’est être déjà dans la tente rouge par la pensée bien avant qu’elle ne soit installée, décorée, admirée.
Et donc, hier soir, j’ai facilité une tente rouge. Sur la route déjà, j’ai compris que je n’allais pas être dans l’état souhaité en arrivant. Au montage, l’imperfection s’est précisée : le beau jeu de cartes Féminitude n’était pas là, la petite « boîte à dons » de l’association non plus, il restait à peine 20 cm du ruban rouge pour le rituel de clôture. 20 CENTIMÈTRES DE RUBAN !
Hurler dans sa tête, respirer profondément, enchaîner. Accueillir les participantes avec une joie sincère malgré l’impression d’à-peu-près. Oublier pas mal de détails lors de mon introduction si bien rodée. Se rendre compte qu’on a aussi oublié d’allumer les bougies. Savourer une très belle tente rouge. Respecter les silences. Déborder largement et généreusement du thème proposé. S’émerveiller comme la première fois des histoires qui résonnent, des rapprochements qui se font, des émotions qui en appellent d’autres. Manger du chocolat, se trouver immensément chanceuse. Sentir la fin arriver. Improviser un rituel de clôture avec mes pauvres 20cm de ruban. Voir des sourires et des cœurs de femmes connectés. Profiter encore un peu de cette belle nuit, de cette lune presque encore pleine, de cette douce sororité qui n’a même plus besoin de mots. Et s’en aller comblée.
Alors oui, dans les tentes rouges, j’aime le rituel, les instants parfaits, j’aime sentir que j’ai bien préparé, bien travaillé. Mais hier soir, j’ai compris que j’aimais par-dessus tout l’authenticité, le déroulement spontané des choses, la bienveillance envers les autres et envers soi-même. J’aime juste les tentes rouges. Je ne suis toujours pas experte, en fait je ne le serai jamais. Même si j’espère que je n’oublierai plus de vérifier la longueur de ruban disponible !