Source : L’Union, 1er août 2018
Il est minuit passé à Tinqueux, quand sept femmes sortent une à une d’un abri de voilages carmin. « C’est quand la prochaine tente rouge ? » demande immédiatement Leslie. « Pfff Nath part en vacances, ce ne sera pas avant la rentrée, elle nous abandonne », ironise Amandine, la maîtresse des lieux.
Un cercle de femmes
Nath, c’est Nathalie, « amoureuse des femmes » autoproclamée, doula et organisatrice de soirée tentes rouges. « C’est un cercle de femmes qui ont leur lune (menstruation, NDLR) ». Messieurs, passez votre chemin.
« Une fois les portes fermées, on parle de son cycle, sa féminité, sa grossesse, son accouchement, sa vie, des bonheurs comme des malheurs. De ce que l’on veut. » La trentenaire se déplace « chez n’importe quelle femme qui veut bien m’accueillir » et dispose de 4 mètres carrés dans son salon « pour déplier ma tente ».
Ce soir-là c’est Amandine qui a poussé ses meubles. Nathalie arrive à 19 heures pour tout préparer avant l’arrivée des filles. Une heure plus tard, on toque une première fois, Maryline et Gwen, deux copines habituées des lieux font leur entrée. Leslie leur emboîte le pas, suivie d’Émilie, la petite nouvelle.
Rapidement le niveau sonore augmente, la table en bois se remplit de friandises, gâteaux et autres douceurs. Nathalie doit s’y reprendre à deux fois pour inviter ces dames à s’installer et déposer 15 € dans une boîte.
Déposer
Sous la tente, l’euphorie redescend. À la lueur des bougies, les visages des femmes réunies en cercle sont fermés. On se regarde, on s’interroge secrètement : que va-t-il se passer ce soir ? Ou plutôt, que va-t-on se dire ? Si certaines vont se contorsionner toute la soirée dans l’espoir de trouver une position plus confortable, l’effort est clairement plus psychologique que physique.
Nathalie commence par une méditation pour « aider les femmes à lâcher prise avec leur quotidien ». La trentenaire présente ensuite à chaque participante un jeu de cartes oracle « en lien avec la féminité ».
L’enfant, la solitude, l’ether, l’amoureuse… « Généralement la carte que tu tires correspond à ton état d’esprit du moment. » certifie-t-elle. Sourire ou yeux écarquillés, la vue des cartons rectangulaires suscite des réactions contrastées. « Le but est surtout de permettre aux femmes d’engager la conversation. »
Les langues peinent à se délier – la présence d’une journaliste n’est peut-être pas étrangère à ce mutisme. Finalement Maryline se lance, puis Leslie, Émilie, Amandine et même Gwen qui avait pourtant juré le contraire. « On peut garder le silence si on le souhaite. » Nathalie intervient quelques fois en évitant de donner des conseils. « L’objectif est simplement que chacune dépose ce qu’elle a sur le cœur. »
Montagnes russes
Rires, pleurs, parfois les deux en même temps… des montagnes russes de sentiments s’enchaînent devant les regards interrogateurs des deux chihuahuas, restés sagement à l’extérieur. L’histoire de l’une fait étrangement écho à celle d’une autre. « Miroir de l’une, miroir de l’autre », synthétise Nathalie. La tente est parfois le théâtre de véritables coups de foudre amicaux.
Le saladier de friandises passe de main en main tout comme la boîte de mouchoirs. Il faut sécher quelques larmes et éponger rapidement les gouttes de sueur qui perlent sur les fronts. Les émotions, la chaleur estivale et le thé servi par Nathalie finissent de transformer la tente en étuve.
Le temps file à une vitesse. On est déjà samedi. Nathalie sonne la fin d’une séance intense et éprouvante par un petit rituel : « Je passe un lien rouge entre les poignets des participantes pour symboliser le lien. Chacune repart avec un bracelet en souvenir », et la certitude que leurs paroles ne seront pas répétées. « Ce qui se passe sous la tente reste sous la tente. » assure la Marnaise. C’est certainement pour cela que les femmes aiment tant y retourner.
Quelle est l’origine des tentes rouges?
Le concept de la tente rouge est inspiré d’un livre La tente rouge d’Anita Diamant publiée en 1997. L’histoire d’une communauté dans laquelle les femmes se rassemblent dans une tente rouge quand elles ont leur règle. Sous la protection de la tente, elles se regroupent pour prendre soin les unes des autres et accoucher.
Ce roman traduit en français passe dans les mains d’une doula. Séduite par le concept, elle propose un premier atelier lors des Journées des Doulas en 2008. Un « moment magique » décrit Nathalie.
Plusieurs consœurs s’approprient l’idée, proposent des tentes rouges thématiques, fixent leurs règles. « Normalement les femmes ménopausées sont exclues. Je n’ai pas fait ce choix car leur expérience peut être utile. Je n’impose pas non plus de thème ni de temps de parole. » détaille la trentenaire.